Apprendre à lire est une priorité de l’enseignement primaire. On doit donc réfléchir à l’historique des méthodes d’enseignement de la lecture et moyens les plus efficaces pour réaliser cet objectif.
On considère qu’un apprentissage chaotique de la lecture est susceptible d’aboutir, bien qu’il n’en soit pas la cause exclusive, à l’illettrisme. Les méthodes de lecture pourraient ainsi avoir une part de responsabilité en ce qui concerne l’entrée mal réussie dans l’écrit. La prévention de l’illettrisme consiste, dans cette perspective, à assurer des bases solides pour tous lors de l’apprentissage, par une pédagogie de la lecture adaptée au plus grand nombre, et différenciée lorsque c’est nécessaire auprès des élèves diagnostiqués en difficulté.
Nous présenterons dans cet article, l’historique de l’enseignement de la lecture et les différents types d’enseignement de la lecture : approche phonétique, approche globale et approche mixte.
Historique de l’enseignement de la lecture
L’enseignement de la lecture de la préhistoire jusqu’à la fin du XIXe siècle
Au moment de leur apparition, il y a plusieurs milliers d’années, la lecture et l’écriture étaient réservées à un nombre limité de personnes qui se transmettaient cette connaissance sur une base individuelle.
La Grèce antique
Cependant, dans la Grèce antique, au VIe siècle avant Jésus-Christ, on voit déjà apparaître les traces d’un enseignement de la lecture beaucoup plus généralisé. Athènes est en fait, à cette époque, une société très lettrée. En effet, lorsque l’on veut parler d’un homme complètement ignorant, on dit de lui : « Il ne sait pas lire, il ne sait pas nager. ».
La loi athénienne exige clairement que les pères enseignent ou fassent enseigner à leurs fils « les lettres, la lyre, la gymnastique ». Il n’est pas fait mention dans cette loi de l’éducation des filles, mais il est probable que les filles recevaient une éducation comparable à celle des garçons, car Athènes comptait plusieurs femmes très cultivées. Avec l’apparition des écoles, on confie les garçons à ces institutions, alors que Ton continue l’enseignement des filles à la maison. Aristote suggère que l’on envoie les enfants à l’école à 7 ans, mais que l’on commence à leur enseigner à lire à la maison à 5 ans.
La Rome antique
Dans la Rome antique, on retrouve ces mêmes préoccupations quant à l’âge auquel les enfants devraient apprendre à lire. Quintilien, contrairement à ses contemporains qui suggèrent l’âge de 7 ans, conseille de commencer plus tôt l’apprentissage de la lecture, pourvu que le travail soit aisé et agréable pour l’enfant. Il est étonnant de constater que l’on arrive exactement aux mêmes conclusions aujourd’hui. Quant à la façon de procéder pour l’enseignement, Quintilien recommande de commencer par enseigner l’alphabet aux enfants ; il souligne même que cet apprentissage se fera plus facilement si on laisse jouer les enfants avec des lettres d’ivoire. Ainsi, les lettres de plastique que l’on offre aujourd’hui aux enfants ne sont pas des inventions nouvelles.
jusqu’à la fin du XIXe siècle
On peut voir à travers ces quelques observations que l’apprentissage de la lecture est fortement orienté vers l’apprentissage de l’alphabet. Pendant plusieurs siècles, d’ailleurs, cette façon d’aborder la lecture restera pratiquement la seule utilisée. On familiarise d’abord l’enfant avec chacune des lettres puis on lui enseigne à unir deux lettres pour former une syllabe, puis trois et quatre lettres. Ces syllabes servent ensuite à former des mots. Ce n’est qu’au terme de cette démarche que l’enfant arrivera à lire plusieurs mots pour former une phrase.
La lecture orale demeure très longtemps la forme courante et habituelle de la lecture. Il ne semble pas que la lecture silencieuse ait été une activité répandue dans les écoles, ou ailleurs, avant le milieu du XIXe siècle. Un auteur a même émis l’hypothèse qu’une des raisons pour lesquelles la lecture silencieuse a fait son apparition au XIXe siècle serait que les bibliothèques publiques créées à cette époque auraient été des endroits trop bruyants si on avait entendu les bourdonnements et murmures qui accompagnaient la lecture dans les monastères médiévaux. D’autres raisons, évidemment, expliquent le développement de la lecture silencieuse, l’une d’entre elles étant que l’instruction s’est répandue graduellement au XIXe siècle, ce qui a entraîné une augmentation du nombre de lecteurs et, par conséquent, une diminution du nombre d’auditeurs potentiels.
L’enseignement de la lecture au cours du XXe siècle
Au XXe siècle, on s’est fixé comme objectif, non seulement que plus de gens apprendraient à lire. Mais les lecteurs devraient répondre à des critères ou des standards de lecture plus élevés. Auparavant, savoir lire signifiait que l’on était capable de reproduire oralement des textes bien connus comme la Bible. Les critères de réussite en lecture se résumaient à rendre un texte avec l’intonation appropriée. Rien ne laisse croire que l’école se donnait comme objectif d’enseigner la compréhension. Cette tâche était laissée à la responsabilité du lecteur.
C’est au début du XXe siècle que se produisent les premiers changements de perspective dans l’enseignement de la lecture. L’évolution des pratiques pédagogiques n’est cependant pas la même dans tous les pays. L’objectif premier de cette partie de l’historique est de tracer l’évolution de l’enseignement de la lecture au Québec. Mais pour comprendre ce qui se passe au Québec, il faut situer cette évolution dans une perspective plus globale ; c’est pourquoi nous aborderons également l’enseignement de la lecture aux États-Unis et en France.
Aux États-Unis
Le virage amorcé au début du siècle en faveur de la compréhension, et aux dépens de l’oralisation, se concrétise aux États-Unis par un enseignement plus global de la lecture. Alors que, traditionnellement, on enseignait les lettres, puis les syllabes et les mots. On présente maintenant à l’enfant des mots fréquents dans des contextes différents.
Les mots sont choisis en raison de leur fréquence, et non pour la régularité des correspondances lettres-sons qu’ils contiennent. L’approche privilégiée par la plupart des enseignants est sans conteste une approche globale que l’on nomme habituellement l’approche look-say.
Mais le changement, s’il est en apparence radical, ne modifie que superficiellement les pratiques d’enseignement. En effet, on ne fait plus répéter des lettres et des syllabes, bien sûr. Mais on les remplace par des mots que les enfants répètent en chœur ou à tour de rôle. Bien que l’on se soit tourné vers la lecture globale pour améliorer la compréhension, on fait peu, en pratique, pour que les enfants comprennent vraiment le sens de leur lecture.
Il suffit de constater la pauvreté des textes offerts aux enfants pour s’interroger sur l’importance réelle que l’on accorde à la compréhension. Étant donné que les textes sont composés d’une même série de mots que l’on présente dans des phrases différentes, on en arrive à des textes comme ceux qui suivent, textes dont on peut difficilement dire qu’ils reposent sur la compréhension.
En 1955, Flesh publie un livre » Why Johnny can’t read ? » livre dans lequel il dénonce les nombreux problèmes rencontrés par les enfants qui apprennent à lire de façon globale. Peu après, Chall publie une étude, Learning to read : the great debate. Cette étude deviendra en quelques mois un best-seller en éducation. Il s’agit d’une synthèse des recherches sur la comparaison des différentes méthodes d’enseignement de la lecture de 1910 à 1965.
Chall propose de classifier les méthodes de lecture en deux catégories :
1) les méthodes centrées sur le code
2) les méthodes centrées sur la signification, c’est-à-dire les méthodes globales.
Elle conclut que les méthodes qui mettent l’accent sur le code produisent de meilleurs résultats. Avec beaucoup de réserve, elle recommande d’orienter les programmes de lecture vers la maîtrise du code au début de l’apprentissage. Il faut se rappeler qu’à cette époque, aux États — Unis, la plupart des programmes se fondent sur des méthodes globales.
L’influence de ce livre se fait rapidement sentir chez les chercheurs, les concepteurs de manuels et les enseignants. En effet, une analyse des programmes de lecture publiés aux États-Unis après 1967 révèle qu’effectivement l’accent se met beaucoup plus sur le code dans les nouveaux manuels.
L’influence de l’étude de Chall a été également assez marquée dans les émissions de télévision du genre de Sesame Street. Plusieurs millions de petits Américains y ont en effet appris le nom et le son des lettres. Ils apprennent comment combiner ces sons pour former des mots.
Dix ans après la publication de son livre, Chall (1976) reste encore du même avis en ce qui concerne la supériorité des méthodes qui préconisent la maîtrise du code au début de l’apprentissage de la lecture. Cependant, les tenants des programmes dirigés vers la compréhension ne sont pas disparus.
Le courant psycholinguistique, avec Goodman (1967) et Smith (1975), propose une nouvelle façon de concevoir les approches basées sur la compréhension. Ces auteurs rejettent l’approche synthétique, car, à leur avis, lire n’est pas assembler des sons ; ils rejettent également les méthodes centrées sur l’apprentissage global du mot isolé. La lecture ne consiste pas non plus à nommer des mots les uns après les autres. Ils considèrent la lecture comme un processus actif. Elle s’appuie sur les connaissances que le lecteur possède sur sa langue et sur le monde.
En France
En France, au début du siècle, on ne constate pas de changement radical dans l’enseignement de la lecture, contrairement à ce qui s’est produit aux États-Unis. Si, au Moyen Âge, les premières tentatives dans l’enseignement de la lecture privilégient la lettre, qui doit mener au texte — avec une préférence pour l’utilisation du latin parce que toutes les lettres se prononcent —, au XXe siècle encore, l’enseignement de la lecture repose sur les principes du modèle de la pensée synthétique, qui va de l’élément le plus simple au plus complexe, comme en témoignent les méthodes les plus couramment utilisées. Cependant, il ne faudrait pas croire que la France n’a pas connu de courants pédagogiques prônant la signification en lecture.
En effet, dès 1768, l’abbé de Randon — niélus s’élevait contre l’utilisation de l’approche synthétique. Cette méthode ne convient pas à la pensée de l’enfant. À la même époque, Nicolas Adam propose une façon d’enseigner la lecture qui part d’éléments significatifs, connus de l’enfant. Sa démarche propose la présentation d’un mot connu à l’oral. Et l’écriture de ce mot sur un chiffon de papier, la conservation des mots acquis dans une boîte, la référence à ces mots pour la construction de phrases. Il préconise de présenter les mots significatifs de façon graduelle, sous forme de jeu. Il s’assure que les mots présentés ne désignent que des objets connus.
Au début du siècle, un autre mouvement en faveur de la globalisation semble s’amorcer. La notion de syncrétisme (Claparède, 1953 ; Piaget, 1923 ; Wallon, 1947) vient appuyer le départ global en lecture. Decroly (1936), de son côté, fait ressortir l’importance de la lecture idéo visuelle qui s’appuie sur les expériences de l’enfant ; pour lui, le déchiffrage précède les exercices de reconnaissance globale.
Dans le même courant d’idées, Freinet (1961) propose une lecture globale à partir de textes produits par les enfants. Pourtant, aucun de ces courants ne parvient à s’imposer. Et l’enseignement de la lecture continue à se faire, dans la plupart des classes, avec un accent marqué pour la maîtrise du code. Aujourd’hui encore, des auteurs français comme Foucambert (1976), Benichou (1982) dénoncent l’enseignement traditionnel de la lecture. Mais sans recueillir l’adhésion de tous les enseignants.
Au Québec
L’évolution de l’enseignement de la lecture au Québec est plus tributaire de l’influence européenne que de l’influence américaine. En effet, au début du siècle, le débat ne se situe pas entre l’approche globale et l’approche synthétique comme aux États-Unis. Mais plutôt entre les variantes de l’approche synthétique comme en France.
Pour reconstituer l’historique de l’enseignement de la lecture au Québec, nous avons retenu les principaux guides pédagogiques publiés depuis 1821. C’est à dire les manuels utilisés dans les classes ainsi que les programmes de l’Instruction publique et du ministère de l’Éducation.
Trois courants se dégagent nettement :
1) un courant centré sur les méthodes synthétiques. Il est présent au début du siècle et qui se poursuivra jusqu’à la fin des années 1970.
2) un deuxième courant centré sur les méthodes analytiques, qui fait une lente apparition vers les années 1950 .
3) et finalement, le courant du début des années 1980 qui s’identifie assez fortement à l’approche psycholinguistique en lecture.
Les méthodes d’enseignement de la lecture
Approche phonétique, ou synthétique, ou syllabique
Bien ancrée dans les conceptions et les pratiques pédagogiques au tout début de la colonisation du Québec, l’approche synthétique bénéficiera fort longtemps d’une popularité continue.
Il est possible de retracer l’historique des conseils et propositions formulés par les pédagogues à l’endroit des enseignants en dépouillant les guides pédagogiques d’auteurs représentatifs de ce courant. C’est dans cette optique que nous présentons les données contenues dans les travaux de Perreault (1822 : voir Jolois, 1969). Langevin (1869), Ross (1924) ainsi que dans le premier programme officiel de l’Instruction publique (1948).
Approche analytique dite aussi approche globale
Il semble que les méthodes analytiques ou globales aient fait leur apparition au Québec dans les années d’après-guerre. On peut lire, en effet, dans le guide du maître de la collection Cathédrale, une adaptation d’une méthode américaine. « En usage dans la province de Québec depuis une dizaine d’années, la méthode globale a rendu de grands services d’abord dans les classes d’arriérés, ensuite dans les écoles maternelles et même depuis quelques années dans plusieurs classes du cours primaire régulier ».
Vinette (1950), dans son guide pédagogique intitulé Méthodologie spéciale, fait également référence, en plus de l’approche synthétique, à l’approche analytique comme façon d’aborder l’enseignement de la lecture. Il donne comme exemple la méthode de lecture globale de sœur Sainte-Marie-Honoré. On peut voir clairement dans les écrits de Vinette que ce dernier privilégie les méthodes globales. La principale raison qu’il invoque pour justifier sa préférence pour les méthodes analytiques et son rejet des méthodes synthétiques repose sur la motivation intrinsèque propre aux méthodes globales. « Il est moins intéressant, en soi, dit-il, d’apprendre à lire “a” ou “g” que d’apprendre à lire son propre nom ou de petites phrases formant une historiette. »
Peu après la publication de Vinette, on voit apparaître une autre méthode globale, celle de sœur Renelle du Saint-Sacrement (Sherbrooke) . Elle propose de faire débuter la lecture par une phase de globalisation suivie d’une phase de décomposition en petites unités. Appelée d’abord méthode globale active, cette méthode est mieux connue sous le nom de méthode dynamique.
En fait, ces méthodes globales ne sont pas inconnues des enseignants. Mais elles ne sont utilisées que dans certaines commissions scolaires. Le plus souvent dans les commissions scolaires situées à la périphérie des grands centres.
La méthode mixte (semi-globale) ou méthodes combinant les deux approches.
Parce qu’elle s’appuie sur un mélange des deux premières, cette méthode induit certaines difficultés, inhérentes à ses points d’appui plus hétérogènes. Même si elle cherche à rapprocher les qualités des méthodes synthétique et analytique, elle rassemble surtout des défauts et cause des difficultés spécifiques. En effet, cette méthode articule un travail plutôt logographique et une entrée dans le déchiffrage graphophonologique.
Il existe deux démarches :
La démarche mixte enchaînée présente pour l’enfant la difficulté de changer d’orientation en cours d’apprentissage. Il rencontre nécessairement l’écrit par la méthode analytique idéovisuelle dans les premiers temps, en général jusqu’à la Toussaint. Ensuite, il découvre la décomposition de la langue en basculant dans la méthode synthétique. Il croit avoir compris comment se réalise la lecture. Puis on lui montre que ça fonctionne autrement en entrant dans le code. Cette modification des représentations est propice à déstabiliser certains élèves. De plus, la première entrée logographique, reposant sur la mémoire et « la motivation », justifiée parce qu’elle ressemble à l’approche faite en maternelle, n’est sans doute pas nécessaire.
La méthode mixte conjointe propose une entrée simultanée dans l’écrit par des activités relevant des méthodes analytique et synthétique. Elles sont littéralement mises en concurrence dans la représentation que l’élève essaie de se construire de la lecture. Faut-il apprendre des mots ou les décomposer ? Cette ambiguïté, souvent poursuivie tout au long de l’année, introduit de la confusion chez certains élèves. Ils hésitent dans la stratégie de découverte des mots nouveaux. Ceci gêne l’accès à l’autonomie et à l’endurance de la lecture.
De plus, pour rendre cette démarche pertinente, les mots appris sont le plus fréquemment organisés en catégories ou suivant des classements, par exemple les noms communs, les verbes, etc. Ceci ajoute une dimension implicite grammaticale, dont on peut chercher la réelle pertinence au cours du CP.
La méthode mixte, pour devenir efficace, nécessite de la part de l’enseignant une parfaite connaissance et une bonne maîtrise des deux méthodes qu’elle rassemble. Elle ne donne pas toujours satisfaction sans qu’on puisse dire aisément, pour chaque élève mis en difficulté, quelle en est l’origine. Ce court tour d’horizon peut laisser perplexe : n’a-t-on que le entre de mauvaises propositions ?
En fait, non. Il existe des choix plus heureux que d’autres. La préférence pour une méthode synthétique graphophonologique semble la plus légitime pour entrer dans l’écrit du français, langue alphabétique. Elle peut présenter des difficultés lors de l’apprentissage. C’est pourquoi l’enseignant doit être très attentif lors de sa mise en œuvre pédagogique. Il peut s’emparer notamment des instruments d’accompagnement que sont les manuels de lecture et tous les outils et périphériques (affiches, albums, cahiers d’activités, cédéroms, etc.), conçus comme autant de supports dont l’emploi est pertinent et légitime.
Si l’enseignant a une bonne formation pour pouvoir choisir et utiliser au mieux ces outils. Cela ne réduit en rien sa liberté pédagogique : bien au contraire, c’est un élément supplémentaire de son expression.
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